Extrait de cet article : post publié sur Motorsport.com
Ce que Marc Márquez a réalisé est le récit de ce qui fait un champion. Alors que tout semblait s’être brutalement arrêté pour lui, il a su investir courage et ténacité pour renaître de ses cendres et peu à peu remonter vers les sommets. Après six saisons d’efforts, voici qu’il se réapproprie la couronne de champion du monde, au terme d’un championnat qui a tourné à la démonstration.
Il y a quelques jours, il montrait avoir lui-même parfaitement conscience de la portée de ce qu’il s’apprêtait à réaliser, en déclarant savoir “par expérience que du jour au lendemain, tout peut changer”. Car c’est un Márquez différent qui est consacré aujourd’hui, désormais trentenaire et certainement plus mûr après les épreuves qu’il a dû endurer.
Ce titre vient s’inscrire sur son palmarès après celui de 2019, décroché au terme d’une saison qui battait alors tous les records. Depuis, son chemin a été parsemé d’obstacles. Il y eut une grave blessure au bras, sa tentative folle de reprendre beaucoup trop tôt et les séquelles subies par ce bras meurtri – la “plus grosse erreur” de sa vie, admet-il aujourd’hui -, ce qui lui vaudra au total quatre opérations en deux ans.
Il y eut aussi la baisse de ses performances avec Honda, sa tentative de taper du poing sur la table pour mobiliser les ingénieurs japonais, en vain, et donc le divorce, impensable jusqu’alors. Le contrat de quatre ans qui avait fait sensation début 2020 lorsqu’il a été signé a fini par être rompu, dans les larmes. Mais la vista qui guidait le pilote apparaissait plus forte que l’émotion de cette séparation. Il fallait qu’il aille voir ailleurs, et il l’a fait.
Márquez a traversé les doutes quant à sa santé, les doutes quant à sa capacité à toujours savoir piloter au plus haut niveau, les doutes quant à la suite à donner à sa carrière. Puis il a écarté l’idée d’une retraite, voulant croire qu’elle était encore prématurée, et s’est donné une dernière chance, celle de courir gratuitement dans une équipe privée, Gresini Racing, pour s’offrir la possibilité de piloter la meilleure moto du plateau. Une fois sur la Ducati, il a relancé la machine à gagner et il est redevenu l’ogre que l’on connaît.
Le plus grand talent de sa génération
Tout au long de sa carrière, Marc Márquez a eu tendance à tout écraser sur son passage. Son talent pur est sorti du lot très tôt et son palmarès s’est très vite enrichi, avec une accumulation de succès au niveau régional, puis national. Son passage par le CEV allait lui ouvrir les portes des Grands Prix et, à 15 ans, il montait déjà sur le podium d’une course mondiale, la sixième qu’il disputait en 125cc.
Outre sa capacité à faire ses preuves très vite, ce qui restera vrai à chaque étape de son parcours, Márquez a très tôt frappé par son style, agressif et incisif. À ses prises de risques s’ajoutent des faux-airs de funambule, ce qui finira par devenir une véritable marque de fabrique avec les “sauvetages” dont il a gratifié le public à maintes reprises durant ses années Honda. Il est aussi l’homme des remontées époustouflantes, dans les petites catégories (sa victoire depuis la 29e place au GP du Japon Moto2, en 2011, en est exemplaire) comme au plus haut niveau.
Mais dès ses plus jeunes années, Márquez a écrit les premiers chapitres de son anthologie en alternant grosses performances et chutes violentes. Cela a notamment retardé ses débuts en 125cc après une blessure en essais, puis cela lui a coûté le titre 2011 en Moto2, un premier épisode de diplopie à la suite d’un gros accident en Malaisie lui ayant empêché de finir la saison. Ces troubles de la vision sont revenus par la suite, de même qu’une fragilité récurrente des épaules, toutes deux souvent déboîtées.
Pourtant, jusqu’en 2020, Márquez a réussi à passer entre les obstacles pour écrire une carrière remarquable. Une fois sa première victoire acquise, il a remporté 56% des courses qu’il a disputées en 125cc et Moto2, avec deux titres à la clé. Devenu un grand champion en puissance, il a provoqué un changement de règlement qui lui a permis d’entrer en MotoGP par la grande porte, celle de l’équipe officielle Honda où il a pris la suite de Casey Stoner.
Là, il s’est à nouveau affirmé, et encore une fois très vite puisqu’il s’est imposé dès son deuxième Grand Prix et a été sacré au terme de sa première saison dans la catégorie reine, comme Kenny Roberts en 1978, avant d’enchaîner par dix victoires de suite lorsque s’est ouvert le championnat 2014.

Marc Márquez le jour de sa première victoire en MotoGP, au GP des Amériques 2013.
Photo de : Repsol Media
Avec six ans de moins que Jorge Lorenzo, huit de moins que Dani Pedrosa et 14 de moins que Valentino Rossi, Marc Márquez incarnait alors une nouvelle ère. Il s’est opposé à ses aînés dans des luttes mémorables, et a souvent pris l’ascendant sur eux. C’est à cette époque aussi que sa carrière a connu son épisode le plus marquant bien au-delà du microcosme de la moto, lorsqu’il s’est retrouvé dans une lutte ouverte et violente face à la star Rossi. Celui qui avait été son idole devint alors son ennemi juré, et Márquez bascula dans une nouvelle dimension.
Le petit génie était désormais une cible aux yeux de certains. Mais ceux-là sont passés à côté d’un champion comme on n’en voit qu’une fois par génération. Un talent hors normes, qui s’exprime dans chaque détail de la performance.
Marc Márquez est celui qui joue les funambules sur un coude, celui qui se relève de tout, celui qui avale les virages à gauche avec une facilité à vous en dégoûter un peloton entier, celui qui apprend à maîtriser mieux que personne les pièges du flag-to-flag après une bévue mémorable qui avait retardé son titre en 2013. Celui, aussi, qui multiplie les victoires et enfonce ses adversaires en les dominant – en essais, en qualifications, en course, partout.
Un battant hors du commun
À quel point le Marc Márquez d’aujourd’hui est-il différent de celui de 2019 ? À l’époque, il se sentait imbattable, et pour cause : il venait de décrocher son sixième titre MotoGP en sept ans, de battre le record de points par saison et n’avait délaissé les deux premières marches du podium qu’à l’occasion d’une chute, survenue alors qu’il survolait le GP des Amériques.
Mais ce 19 juillet 2020 a été la quintessence de ce trop-plein de confiance d’un pilote capable de tout, avec une première sortie de piste survenue alors qu’il livrait une performance tout en force à l’avant de la course, puis son retour en piste et une remontée menée tambour battant. La réalisation était époustouflante mais ne tenait qu’à un fil et celui-ci a fini par rompre. Après l’avertissement, c’était la punition : la deuxième faute s’est soldée par cette fracture du bras dont il allait subir les conséquences pendant des mois et des mois.

La saison 2020, celle de la blessure et d’une longue, très longue absence des pistes.
Photo de : Repsol Media
Le caractère du Marc Márquez de l’époque s’est ensuite reflété dans la manière dont il a d’abord traité cette blessure, c’est-à-dire en cherchant à accélérer à l’extrême les délais. Aurait-ce été un exploit s’il avait vraiment réussi ce défi de courir à nouveau le week-end suivant ? Le fait est que le prix à payer en était bien trop élevé puisque sa tentative de retour sans pause, sitôt opéré, s’est soldée par une aggravation de la blessure et l’obligation dès lors de rester longuement au repos.
Lorsqu’il y repense, lui-même peine à comprendre “ce surplus de confiance” qui l’aveuglait au point de croire que rien ne pouvait lui arriver. Sa “plus grosse erreur”, reconnaît-il aujourd’hui. Elle allait toutefois le mener à exprimer à l’extrême un autre trait de son caractère : une volonté de fer, celle d’un battant que rien ne semble pouvoir faire défaillir.
Se prouver à lui-même que l’impossible était possible
Même au plus mal, son orgueil de champion l’a convaincu qu’arrêter n’était pas la solution, et voilà donc Marc Márquez, huit fois champion du monde, qui en 2024 a intégré le garage d’un team privé pour faire équipe avec son frère, sans percevoir d’autre salaire que celui versé par ses sponsors personnels. Et c’est ce même Marc Márquez que l’on a alors vu devenir un autre homme. Détendu, souriant, il a fait tourner cette saison à la fête, offrant des célébrations comme autant de bouffées d’air frais venues balayer les souffrances encore récentes.
VIDÉO – La joie de Marc Márquez après sa première victoire avec Gresini.
Une parenthèse heureuse, une saison durant laquelle il s’est laissé le temps et s’est reconstruit mentalement. Car il a vite obtenu les réponses qu’il attendait, en se démontrant à lui-même que, non, il n’avait pas perdu son talent et qu’avec la Ducati il parviendrait à revenir au sommet. Si vite qu’il a terminé le championnat avec une impatience bouillant au fond de lui et qu’il ne parvenait plus à masquer.
Sa troisième place au championnat ? Elle ne l’intéressait guère. Ce qui focalisait son esprit, c’était le guidon décroché dans l’équipe d’usine pour cette année, et donc la dernière marche à franchir vers son retour au sommet du MotoGP. Jorge Martín en a fait les frais en se faisant écarter du poste qu’il convoitait, et le rouleau-compresseur Márquez ne faisait que commencer à tout raser sur son passage.
Tout de rouge vêtu, il entamait le 19 novembre 2024 son intégration dans une équipe Ducati jusqu’alors dévolue à Pecco Bagnaia. L’Italien ne savait pas encore qu’il serait bientôt assommé un peu plus fort à chaque course, confronté à un Marc Márquez plus redoutable que jamais.

Marc Márquez a totalement pris le pouvoir chez Ducati cette saison.
Photo de : Gold and Goose Photography / LAT Images / via Getty Images
Dix-sept Grands Prix plus tard, voilà donc le champion de 2019 à nouveau sur le toit du monde. Un couronnement incontestable, tout autant que celui d’il y a six ans, mais après quel chemin parcouru ! Celui qui, à l’époque, partageait encore la piste avec Valentino Rossi est aujourd’hui un vétéran, pilote au talent intacte, si ce n’est une palette plus large encore puisqu’il a dû recalibrer son pilotage à une moto radicalement différente.
Un pilote plus mûr aussi, qui cherche à appliquer les leçons apprises de ses erreurs de 2020. Un pilote, enfin, qui a appris à savourer plus que jamais les succès obtenus, au point d’avoir vécu une saison de joie fraternelle qui comptera tout autant dans l’histoire familiale que dans le panthéon de sa carrière personnelle.
Celui qui avait choisi la fourmi comme symbole à ses débuts n’est assurément plus ce tout petit bonhomme qui devait faire sa place. Plus que jamais, ces dernières années, il a incarné la ténacité qu’il avait aimée dans cet insecte, il a mis en action le travailleur, extrêmement combattif, persévérant et dur au mal, qu’il est. Si la fourmi est capable de déplacer des montagnes, Márquez aussi, c’est indéniable.
Pour en arriver là, il a aussi dû accepter de se confronter au doute, d’accepter de se donner du temps et d’en passer par des moments sombres. Aujourd’hui, il pourrait aussi s’approprier un autre emblème, celui du phénix, car beaucoup ont douté, et lui le premier, que le Marc Márquez hurlant de douleur dans le bac à gravier de Jerez le 19 juillet 2020 pourrait un jour renaître et, à nouveau, écraser tout sur son passage.
Il y parvient aujourd’hui et devient nonuple champion du monde.
Lire l'article complet - Auteur de l'article : Léna Buffa |