Jorge Martín s’explique : “On n’est jamais préparé à passer près de la mort”

Extrait de cet article : post publié sur Motorsport.com

Après deux mois d’une lutte plus juridique que sportive, Jorge Martín et Aprilia donnent une seconde chance à leur mariage. Bien conscient qu’il ne pourrait pas échapper à un exercice de vérité avant de pouvoir se concentrer sur la piste à l’heure de reprendre la compétition, le champion du monde en titre a donné une conférence de presse spéciale à Brno, à la veille des premiers essais qui marqueront un nouveau départ pour lui.

Il a commencé par clarifier l’issue de ce conflit qui était depuis quelques jours une évidence : oui, il va rester chez Aprilia et aller au bout de leur contrat de deux ans. Mais l’Espagnol a surtout longuement mis les mots sur ce qu’il a traversé depuis le début de l’année, et particulièrement depuis son grave accident au Qatar, il y a trois mois. Expliquant ses peurs et ses doutes, il a joué le jeu de l’honnêteté comme rarement un athlète de ce calibre le fait, sans se dérober face aux questions des journalistes.

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Comment vas-tu ? Es-tu prêt pour ce retour ?

Je suis très content d’être ici. Ça a été six ou sept mois très difficiles pour moi. J’ai beaucoup souffert, j’ai eu beaucoup de blessures. Mais je suis enfin heureux d’être ici et d’être de retour sur ma MotoGP. Et je peux dire aussi que je suis heureux de dire que je vais rester chez Aprilia pour 2026.

Qu’est-ce qui t’a convaincu de rester chez Aprilia ?

Je souhaite expliquer un peu ce qui s’est passé, car je pense que si je l’avais fait dès le début, tout aurait été plus facile. Après ma première blessure, puis la deuxième et la troisième, chacune étant de plus en plus importante ou plus grave, j’ai commencé à beaucoup douter, non seulement de mon avenir mais aussi de moi et de beaucoup de choses différentes. À ce moment-là, je devais prendre une décision quant à mon avenir et cette décision était soit d’essayer l’Aprilia pendant quelques courses de plus, soit d’activer cette clause dont vous avez tous entendu parler. Aprilia a refusé ces deux [options]. Je le respecte et le comprends, disons qu’ils défendent leurs droits.

À partir de là, il a fallu que je me batte pour ce que je pensais être le mieux pour moi, c’est-à-dire essayer de passer à un autre projet, et cette bataille a alors commencé. Je pense que j’aurais pu poursuivre cette bataille plus longtemps, mais dans la vie, il faut prendre des décisions et ma décision est maintenant de rester chez Aprilia pour une saison de plus. On voit que Marco [Bezzecchi] et Aprilia font un travail fantastique, je ne suis pas idiot et je vois qu’on a un gros potentiel ensemble, qu’on peut faire de très bonnes choses. J’espère être très bien préparé pour ce qui m’attend.

Je ne regrette rien. Tout ce que j’ai fait a été ce que j’ai pensé être le mieux pour mon avenir et pour moi.

As-tu lu ce qui a été écrit depuis Le Mans ?

Je ne regrette rien. Tout ce que j’ai fait pendant ces quelques mois a été ce que j’ai pensé être le mieux pour mon avenir et pour moi. Je pense que personne ne peut comprendre ce qui vous passe par la tête quand vous êtes à l’hôpital avec 12 côtes cassées et que vous n’arrivez pas à dormir pendant une semaine. Donc tout ce que j’ai fait, je l’ai fait parce que je pensais que c’était ce qu’il y avait de mieux pour mon avenir, et c’est également ce que je fais maintenant en décidant de rester ici.

Pourquoi avoir pensé à Honda, alors que l’Aprilia est meilleure actuellement ?

Honda était une option, mais ça n’était pas la seule.

Va-t-il être possible de retrouver l’amour avec Aprilia et ses équipes, après une rupture comme celle-ci il y a quelques mois ?

Je pense qu’une relation, c’est comme des montagnes russes. On peut tomber amoureux, se disputer, mais si vous aimez l’autre personne, vous allez travaillez dur pour rester ensemble et vous battre pour atteindre vos objectifs. C’est là qu’on en est. Je ne peux pas dire qu’il ne s’est rien passé. Il est clair qu’on a eu une grosse bataille avec Aprilia, mais le temps est venu de construire ensemble parce qu’on veut tous les deux être ensemble à présent et gagner. C’est ce qui compte et je pense qu’il est possible de retomber amoureux.

Ce sont tes blessures qui t’ont fait douter et envisager de quitter Aprilia ?

Il est clair que le fait que je sois hospitalisé n’a pas aidé, parce que si j’avais commencé la saison comme une saison normale, ça ne serait jamais arrivé. On ne le saura jamais. Mais ce qui compte, c’est qu’on soit ici à présent et que tout soit terminé.

Tu ne sembles pas très enthousiaste…

Je suis très enthousiaste ! C’est juste que je n’aime pas trop être ici [en conférence de presse] aujourd’hui ! J’aime être dans le paddock, mais c’est bizarre d’être ici tout seul. J’ai vraiment hâte.

Comment as-tu décidé de rester ? Ton changement d’état d’esprit est-il venu du fait que tu voulais résoudre ce conflit rapidement ou du fait d’avoir vu les résultats de Bezzecchi ?

C’est un mélange de plusieurs choses. La première, c’est que je voulais que tout soit terminé avant de reprendre la compétition. Je ne voulais pas revenir ici et être toujours en conflit avec Aprilia ou avec qui que ce soit. C’est donc pour cela que j’ai voulu aller vite et que ça s’arrête avant de revenir. Je ne pouvais pas reprendre la piste en ayant plein de choses qui me passait par la tête.

Et j’ai aussi vu les progrès. Mon premier ressenti d’après ce que j’ai vu lors du test de Barcelone, de celui de la Malaisie et au Qatar avait tout le temps été très mauvais parce que j’ai eu des chutes, des blessures. C’est pour ça que j’ai beaucoup douté. Mais en faisant un test et avec le Aprilia All Stars, j’ai pu voir à quel point Aprilia m’entourait et m’aidait à me sentir en sécurité, et j’ai alors changé d’avis.

Comprends-tu que l’équipe qui est au stand peut avoir été déçue de ce qui s’est passé ? T’es-tu excusé auprès d’eux ?

En revenant dans le paddock après tout ce qui s’est passé en dehors, on peut sentir une sorte de tension. Mais au final, le plus important entre un pilote et une équipe, c’est de communiquer, de se parler. S’ils sentent que quelque chose ne va pas, ils sont libres de pouvoir me parler et si je sens que quelque chose ne va pas, j’ai cette liberté aussi.

Je ne me suis pas excusé, parce que je n’ai pas le sentiment de devoir m’excuser de quoi que ce soit. J’ai fait ce que j’ai pensé être le mieux pour ma carrière et maintenant on est ensemble, donc on va rester ensemble, se parler, et s’ils ont le sentiment que je dois faire quelque chose pour améliorer notre relation, je vais le faire. Pour moi, il est très important qu’on forme vraiment une famille, donc je vais travailler dur pour cela.

Leur as-tu déjà parlé ?

Oui, j’ai parlé avec toute l’équipe, j’ai parlé aussi avec le test team avec lequel j’ai roulé la semaine dernière, j’ai parlé avec Massimo. On est dans le même bateau. Ça ne va pas être facile, c’est sûr, tout ne va pas être rose d’emblée, mais on va se battre pour ça et je vais faire de mon mieux pour obtenir de très bons résultats.

Tu avais dit avoir beaucoup travaillé sur ton mental l’année dernière : es-tu déçu de ta gestion mentale par rapport à ce qui s’est passé ?

Non. Je crois qu’on n’est jamais préparé à passer près de la mort. Il y a toujours différentes situations dans la vie mais il y a parfois des situations auxquelles on ne s’attend pas, et quand elles arrivent elles sont très dures à accepter. Le Qatar a été l’une de ces situations. Je me suis retrouvé dans une situation très mauvaise. [Il est pris par l’émotion] Je pense que seuls mon père et ma petite amie savent ce qui m’a traversé l’esprit et ce que j’ai ressenti dans mon corps. Pour moi, être ici aujourd’hui me démontre le courage que j’ai et ça me motive encore plus.

Quand tu as dit à Aprilia que tu voulais faire jouer la clause du contrat, t’attendais-tu à ce qu’ils disent “OK, on est d’accord” ?

Non… mais je ne veux pas continuer à parler sans cesse de cette clause. Je ne suis pas idiot, je n’aurais pas fait tout ça s’il n’y avait pas eu cette clause, ça n’aurait eu aucun sens. Je l’ai comprise d’une certaine manière et eux d’une autre, et c’est la raison pour laquelle on a autant parlé pendant ces quelques mois. Mais ce qui est important, c’est que je suis ici, avec Aprilia.

Si la bataille avait été plus agressive, ça aurait été difficile de recommencer à travailler et de faire comme si de rien n’était.

Malgré ce conflit entre vous, Aprilia et toi semblez avoir pris garde à maintenir le respect envers l’autre. C’était important pour aider à reconstruire cette relation à présent ?

Oui. Si la bataille avait été plus agressive, ça aurait été difficile de recommencer à travailler et de faire comme si de rien n’était. Je pense qu’Aprilia comme moi, on est très honnêtes les uns avec les autres depuis le premier jour et qu’on l’est encore. On sait qu’il s’est passé ça, on sait qu’il faut qu’on recommence à travailler ensemble, et c’est tout. Le moment est venu de mettre la tête dans le guidon et de faire de notre mieux pour revenir au sommet.

Y a-t-il du positif à tirer de ces derniers mois, même s’ils ont été très durs ?

La confiance en moi, oui. J’ai clairement eu du mal quand j’étais à l’hôpital, au Qatar, mais je crois que je me suis parfaitement bien entraîné, que je suis mieux préparé que jamais. Et je crois que je ne savais pas combien de courage je pouvais avoir et que maintenant je le sais. C’est en moi et je vais le garder pour toute ma carrière.

Tu as dit que tu n’avais pas besoin de t’excuser auprès d’Aprilia. Y a-t-il par contre quelque chose dont tu peux les remercier ?

Oui, je peux assurément les remercier pour tout le travail qu’ils réalisent. Peut-être qu’à l’avenir, si on gagne ensemble, je remercierai Massimo [Rivola] pour tout ce qu’il a fait pour me garder ! [rires] Et puis, l’opportunité qu’on s’est offerte l’un l’autre depuis l’année dernière est formidable et j’ai eu le sentiment qu’on devait maintenant se donner une autre opportunité pour continuer à travailler sur ce projet, et c’est ce qu’on a fait. Il est donc temps maintenant de travailler.

Tu dis avoir commencé à douter de tout, y compris de toi. Peux-tu expliquer cela ?

Quand j’étais à l’hôpital, je ne savais pas si j’allais pouvoir courir à nouveau. J’ai passé quatre jours en soins intensifs et ça a été un moment vraiment dur. Je parlais avec ma compagne, mon père, avec Aleix [Espargaró] parfois, et je ne savais pas si j’allais un jour pouvoir remonter sur une MotoGP. Donc à partir de là, j’ai douté de tout : est-ce que j’allais être rapide à nouveau ? Est-ce que j’allais redevenir fort ? Beaucoup de choses. Au niveau personnel, j’ai juste essayé de garder mon calme et de prendre mon temps.

En comparaison de l’accident dont tu as été victime à Portimão en 2021, en quoi cette période a-t-elle été plus difficile pour toi ?

Ça n’a rien à voir. C’est peut-être dû au fait que j’étais plus jeune, je ne sais pas, mais à l’époque je voulais juste guérir et remonter sur la moto. Maintenant, j’ai tous ces nuages de pensées [qui m’entourent], au sujet de l’équipe et tout le reste, et puis je suis un personnage plus important, donc on en parle plus. C’est peut-être pour ça que ça a pris plus d’ampleur, et les blessures étaient aussi beaucoup plus graves. Je vais en tirer des enseignements. Si ça se reproduit – car ça peut se reproduire, je l’accepte, j’accepte le fait qu’on est en MotoGP et qu’on risque notre vie chaque fois qu’on prend la piste -, alors j’essaierai d’être meilleur.

Tu as gagné beaucoup de fans l’année dernière, mais l’opinion publique a semblé plutôt opposée à ce que tu as fait : qu’en penses-tu ?

Les fans sont très importants, ils sont le moteur de notre sport et de notre vie, sans eux il nous serait impossible de piloter ces motos. Je peux comprendre leur opinion mais la seule chose que je peux dire, c’est que j’ai fait ce que je pensais être le mieux pour ma vie et pour mon avenir, c’est tout. J’espère que certains d’entre eux reviendront dans mon camp, mais en réalité, je ne regarde pas trop les critiques et je reste simplement concentré sur mon entourage et ma famille pour être plus fort.

À quel point l’intervention de Carmelo Ezpeleta à Assen a-t-elle été importante dans ta décision de rester chez Aprilia en 2026 ?

Je respecte la position de Carmelo, il est le big boss et c’est tout.

Ne penses-tu pas que la seule erreur dans tout cela a été de rendre la question médiatique au lieu d’en parler en privé avec Aprilia ?

On a parlé de tout en privé. Au final, prilia a appliqué sa stratégie et nous la nôtre, et au final on est de retour ensemble.

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Lire l'article complet - Auteur de l'article : Léna Buffa
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