Extrait de cet article : post publié sur Motorsport.com
Les fidèles du MotoGP sont habitués à voir son nom apparaître dans les moments difficiles, ceux où l’on attend des nouvelles d’un pilote victime d’un accident suffisamment grave pour qu’il soit pris en charge par les médecins. Pourtant, on connaît peu le Dr Ángel Charte, celui qui est à la fois l’ange gardien des pilotes et le passeur des informations au public lorsque l’un d’eux va mal.
L’Espagnol, qui cumule plus de 30 ans d’expérience en médecine et est chef de service à l’hôpital universitaire Dexeus, a imprimé son style, très différent de celui du Dr Claudio Costa qui, à une tout autre époque, a posé les fondements de ce lien indéfectible entre ces hommes qui prennent tant de risques en piste et ceux qui les bichonnent, les sauvent parfois, lorsque leur corps est malmené.
La restructuration et le renforcement du département médical du MotoGP se sont opérés sur plusieurs années, impulsés par la mort de Marco Simoncelli en 2011. Aujourd’hui, la Clinica Mobile n’est plus présente sur les circuits, remplacée par un système beaucoup plus vaste dont le Dr Charte est la cheville ouvrière. Il est devenu le directeur médical du championnat l’année qui a suivi le drame de Sepang.
“Carmelo Ezpeleta m’a contacté à l’hôpital par l’intermédiaire du Dr Xavier Mir, l’un des meilleurs spécialistes travaillant depuis de nombreuses années avec le MotoGP et ses pilotes, afin de mettre en place une unité spéciale pour les patients en état critique et semi-critique”, se souvient le Dr Charte dans une interview accordée à l’édition espagnole de Motorsport.com.
“J’ai proposé une structure entièrement nouvelle, en plaçant deux unités de soins intensifs capables de fonctionner sur le circuit. Nous avons environ 1200 à 1300 accidents par an, dont huit ou neuf qui sont graves ou très graves. Nous donnons aux pilotes gravement blessés une chance de survivre”, explique-t-il.
Donner une chance de survie, voilà donc la mission essentielle que se fixe le Dr Ángel Charte. Nous poursuivons la conversation afin de mieux connaître sa manière de travailler et de voir les choses dans ce rôle si singulier.
Qu’est-ce que cela signifie de troquer la blouse d’hôpital contre une combinaison de course ?
Je combine à la fois l’hôpital et le championnat du monde de MotoGP. Je suis chef de l’unité de soins intensifs et de médecine interne de mon hôpital, et j’ai la responsabilité qu’implique un sport que, d’une certaine manière, je ne qualifierais pas de dangereux car il ne l’est pas, mais qui comporte certains risques : le monde des sports mécaniques. Ce n’est pas un monde facile, ce n’est pas du football. Et au cours de ces 14 années, les résultats ont été fructueux.
Malheureusement, j’ai connu deux décès : Luis Salom (2016) et Jason Dupasquier (2021). Mais les pilotes quittent toujours le circuit en vie. Ils repartent toujours vivants. Lorsque nous arrivons à l’hôpital de référence dans chaque pays, si les blessures sont incompatibles avec la vie, malheureusement, il n’y a rien d’autre à faire. Mais du circuit à l’hôpital, ils repartent toujours vivants.

Le Dr Ángel Charte, ici avec Pol Espargaró.
Comment voyez-vous les pilotes MotoGP par rapport aux autres athlètes ?
Ce n’est pas facile d’être un pilote de MotoGP. Ils ne le deviennent pas du jour au lendemain, ils sont formés dès l’enfance. Ils comprennent parfaitement les risques. Ils courent depuis de nombreuses années et savent parfaitement maîtriser tous leurs mouvements. On me demande souvent si un pilote est dingue et je réponds toujours la même chose : je n’ai pas rencontré de pilote qui soit dingue au cours de ces années. J’ai rencontré des pilotes techniques, des pilotes plus agressifs, mais des fous ? Aucun. Ils gèrent parfaitement la peur, ils savent exactement ce qui est en jeu. La seule différence entre un hôpital et le MotoGP, c’est qu’ici on ne sait jamais ce qu’on va trouver quand on est appelé ou quand il y a un drapeau rouge.
Quelle est la guérison la plus incroyable dont vous ayez été témoin chez un pilote ?
J’en ai vu beaucoup, et pas mal récemment. Par exemple, Pol Espargaró, Tito Rabat, Michele Pirro… Des blessures très graves qui ont nécessité des actions médicales intensives et limitées. Ceci étant dit, d’autres pathologies peuvent apparaître plus tard, comme des traumatismes crâniens qui nécessitent un suivi. Récemment, le pauvre Luca Marini a eu une blessure très sérieuse à la tête, Jorge Martín a eu 11 côtes cassées.
Ce qui me frappe chez eux, c’est leur capacité de récupération. Leur vie, c’est le moteur, la moto, et c’est une chose pour laquelle j’ai énormément d’estime. Ils sont faits différemment. Ils sont humains, comme nous tous, et leur capacité de récupération est due au fait qu’ils ont été entraînés depuis leur plus jeune âge. C’est la réalité.
Il y a parfois une controverse au sujet des processus de récupération accélérés pour certains pilotes, qui reviennent très vite à la compétition après s’être blessés. En tant que médecin, comment pensez-vous que ces comportements devraient être contrôlés ?
Quand j’ai commencé, il y avait des lacunes que j’ai jugé nécessaire de signaler à la commission médicale de la FIM afin qu’elle fixe certaines limites, non seulement pour le pilote [blessé] mais aussi pour la sécurité des autres pilotes. C’est ce qui s’est passé et cela continue d’évoluer chaque jour. Les pilotes veulent courir parce qu’ils adorent ça, et franchement, parfois il faut dire non. Et non, ça veut dire non. Ils n’aiment pas ça, mais ils comprennent que c’est pour leur bien. Les pilotes veulent toujours courir, c’est ce qu’ils veulent le plus, et dire à un pilote qu’il ne peut pas courir peut provoquer une certaine agressivité.
Quel est le moment le plus critique que vous ayez vécu sur un circuit ?
Fondamentalement, les décès de Luis Salom et de Jason Dupasquier. Cela m’a beaucoup marqué. Non pas que je ne sois pas habitué à ces pathologies – je les vois tous les jours à l’hôpital – mais parce que Luis et moi étions proches. C’était un homme tout à fait charmant. Et puis la malchance qu’il a eue… Luis était un type fantastique… Ça m’a profondément affecté et j’ai pleuré. La mort de Dupasquier a également été très dramatique. Beaucoup disent que je suis comme un père pour eux, mais sur le moment je ne demande pas le nom du pilote. Quand je dois agir, j’agis. Le nom n’est pas ce qui m’importe. Ce qui compte, c’est de faire en sorte qu’ils s’en sortent vivants.
La santé mentale est aussi devenue un sujet important dans le sport de haut niveau, et cela a été particulièrement le cas pour deux pilotes qui ont subi une forte pression en raison de blessures graves et de séquelles : Marc Márquez et Jorge Martín. Comment gère-t-on la santé mentale en MotoGP ?
La santé mentale est l’un des paramètres ayant reçu le plus d’attention ces derniers temps. Je crois que la santé mentale contribue grandement à l’évolution d’un pilote et de tout athlète de haut niveau. Il y a eu la santé mentale de Marc Márquez, qui a été absent pendant longtemps à cause d’une blessure qui n’a pas pu guérir correctement, pour diverses raisons que je n’évoquerai pas, ou encore la malchance du pauvre Jorge Martín. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase où l’on applique des protocoles de santé mentale.
D’un point de vue médical, existe-t-il des situations miraculeuses ou tout simplement des souffrances qui sembleraient excessives pour pouvoir courir en MotoGP ?
C’est une question difficile. Je crois que les miracles existent. Dans le domaine de la santé, c’est le cas, et pas seulement en MotoGP, mais aussi dans les hôpitaux. Il y a un halo spécial. Par ailleurs, comme je l’ai dit précédemment, les pilotes gèrent parfaitement la peur. Ils savent ce qui est en jeu. Ils ne sont pas faits comme nous. Oui, ils sont spéciaux. Parfois, ils se rétablissent plus vite que prévu. Vous pensez qu’un pilote sera indisponible pendant quatre semaines, et à la deuxième semaine, il est déjà prêt à courir.
Ce sport s’apparente parfois à un saut dans le vide. Comment les pilotes font-ils face aux drames ?
Je vais vous dire quelque chose qui peut plaire ou ne pas plaire. En cas de malheur, un pilote MotoGP essaie de se plaindre le moins possible, mais il en souffre. Lorsque le drame frappe vraiment, le pilote se rend compte qu’il ne s’agit pas d’une plaisanterie, mais il essaie de tourner la page le plus vite possible, sans quoi il ferait erreur. Il sait ce qu’est ce sport. Il connaît les risques qu’il encoure, il l’accepte, il souffre en silence, mais il ne s’y attarde pas, car cela nuirait mentalement à son professionnalisme.
Je crois que nous avons tous peur de la mort d’une manière ou d’une autre. S’ils y pensent, ils ne vous l’avoueront jamais. Si vous y prêtez attention, beaucoup d’entre eux ont leurs rituels avant de prendre la piste : il y en a un qui fait un signe de croix, un autre qui touche le sol, etc. Ils ont des croyances sur ce que l’on appelle théoriquement la chance, mais ils savent exactement ce qui les attend.
Comment expliquer médicalement que le cœur d’un pilote puisse battre à 200 pulsations par minute pendant 45 minutes ?
Eh bien, il produit de l’adrénaline en roulant à 340 km/h. Pensez-vous qu’il a l’impression de rouler à 340 km/h et qu’il pourrait mourir ? Non, à ce moment-là, je ne pense pas. Il est immergé dans son métier, dans ce qu’il aime, à savoir la course. Plus il court, mieux il va.
Les pilotes retiennent-ils vraiment leur souffle dans les derniers tours d’une course ?
C’est une histoire surprenante, mais la circulation sanguine s’arrête. Je n’ai pas pu le vérifier, bien que l’on dise que certains pilotes retiennent leur souffle, mais c’est évident. Dans les derniers tours, leur rythme cardiaque monte à 200-220, proche d’une tachycardie paroxystique. Ce qui me surprend chaque jour, c’est leur capacité à surmonter, leur volonté, leur habileté à réussir. Parfois, quand je rentre à l’hôpital et que je pense à la course qui vient d’avoir lieu ou que j’en entends parler, je me dis que ce sport demande vraiment une force mentale incroyable.
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