Quand Marc Márquez a choisi de renoncer à la dernière année de son contrat avec Honda fin 2023, une petite lumière s’est rallumée dans l’esprit de Luca Marini, en lui faisant remonter les souvenirs de son enfance, quand il rêvait de porter les mêmes couleurs que son demi-frère, Valentino Rossi. Il a ainsi renoncé au confort et aux bons résultats dans l’équipe familiale, VR46, pour se lancer dans une nouvelle aventure.
Après avoir subi les difficultés de Honda, Marini commence à voir les progrès du constructeur, auquel il pense avoir grandement contribué. Ses résultats s’améliorent et il n’est plus qu’à six points de Johann Zarco, meilleur représentant de Honda au championnat, à deux courses de la fin de la saison.
Motorsport.com a rencontré Luca Marini pour dresser un bilan de ces deux premières saisons chez Honda. L’occasion de découvrir un homme à part en MotoGP, toujours très analytique dans son approche et ses réponses aux médias, et déterminé à aider Honda à retrouver le sommet du championnat.
De l’extérieur, tu sembles être quelqu’un de très réservé, qui protège très bien sa vie privée et n’aime pas l’exposition médiatique…
Je donne cette impression ? Je pense juste être une personne qui ne parle pas trop, c’est tout. Probablement parce que je suis calme et que je ne fais pas de folies – j’aime que ma vie privée soit privée. Je ne suis pas très extraverti, mais je suis content si on parle de moi. Je ne fais rien pour empêcher les gens de parler de moi.
Les résultats récents, surtout les podiums de Joan Mir au Japon et en Malaisie, confirment-ils que Honda est sur la bonne voie ?
Oui, totalement. Le pas en avant a été immense, mais il n’est pas encore suffisant. Le plus dur commence maintenant, quand on est à trois dixièmes du rythme du meilleur en course, c’est là que ça devient plus difficile de réduire l’écart et de progresser.
Luca Marini
Photo de: Gold and Goose Photography / LAT Images / via Getty Images
À titre personnel, comment te sens-tu impliqué dans les progrès de Honda ?
Dans de nombreux aspects, sincèrement. Beaucoup de choses ont changé depuis que je suis chez Honda, surtout dans les méthodes de travail. Nous avons beaucoup progressé, nous avons beaucoup plus d’employés qu’avant – nous avions très peu de monde qui travaillait pour l’équipe et les pilotes. Techniquement, j’ai beaucoup aidé Honda. Je pense que la principale contribution a été d’apporter des réponses à tous les ingénieurs, pas seulement de poser des questions et faire des demandes, mais essayer de trouver des réponses à tous les problèmes, avec eux.
Essaies-tu d’insuffler ta vision et ta personnalité dans l’équipe ? Au début de l’année 2023, on avait l’impression que Honda avait perdu la voie et que tout le monde tirait dans sa propre direction…
On peut dire ça. J’aime rouler et gagner des courses, travailler sur tous les détails et toujours donner 100%. Avant, Honda accordait une grande confiance à Marc [Márquez] parce qu’avec son talent, il pouvait compenser ce qui manquait sur la moto, mais ils ont un peu perdu la voie dans le développement technique.
On m’a dit que tu es un ingénieur “déguisé” en pilote. Cette approche est-elle un élément de ton travail, ou dépend-elle du caractère de chacun ?
Tout le monde est différent. À titre personnel, j’aime beaucoup l’aspect technique des motos, ça m’a toujours passionné et j’aime tirer le maximum d’une moto sur le plan technique. Parfois, c’est un problème parce qu’il y a des pilotes qui ne savent rien de la moto, ils ne connaissent rien techniquement, ils attaquent à 100% et si la moto fonctionne et que tout va bien, parfait. Mais j’aime savoir, comprendre, et apprendre comment la moto fonctionne.
Luca Marini
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Il faut donc savoir lire les données, la télémétrie, une chose dont tous les pilotes ne sont pas capables…
Oui, j’ai toujours été curieux de la façon de lire les données. Je l’ai appris des ingénieurs avec lesquels j’ai travaillé en MotoGP. En Moto2, j’utilisais déjà Wintax [un logiciel d’analyse de la télémétrie, ndlr], qui est vraiment un bon outil pour apprendre. Je posais tout le temps des questions aux ingénieurs, à mon chef mécanicien, à l’ingénieur électronique… Toujours pour apprendre quelque chose de nouveau. Maintenant, je sais comment tout faire avec les données.
Quand on travaille avec des Japonais, on réalise rapidement que c’est un monde différent par rapport à l’Europe. Ils ont une mentalité et une culture très différentes. Même si nous parlons en Anglais, je voulais apprendre à m’expliquer d’une façon qui leur convient mieux.
Tu as également tenté d’apprendre le japonais…
Oui, j’y ai consacré de gros efforts en début d’année, mais après l’accident de Suzuka, j’ai un peu ralenti. C’est très difficile, mais ça m’a un peu ouvert l’esprit à leur sujet.
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Apprends-tu le japonais par respect envers Honda, ou est-ce plus pour pouvoir échanger avec les ingénieurs et en tirer un avantage sur tes collègues ?
Le fait est que j’ai toujours adoré le Japon, la culture japonaise, j’aime beaucoup le pays. Je voulais en apprendre un peu plus, apprendre à mieux les connaître, plus profondément. Quand on travaille avec des Japonais, on réalise rapidement que c’est un monde différent par rapport à l’Europe. Ils ont une mentalité et une culture très différentes. Même si nous parlons en Anglais, je voulais apprendre à m’expliquer d’une façon qui leur convient mieux, pour qu’ils comprennent mieux si c’est oui pour une chose ou non pour une autre, afin d’améliorer la communication. C’est très dur pour eux de parler Anglais, c’est une langue très différente de la leur, et je l’ai très vite compris quand j’ai commencé à travailler avec Honda, donc j’essaie de communiquer de mieux en mieux avec eux. Ce serait parfait d’apprendre à parler japonais, par exemple Taka [Nakagami, pilote d’essais de Honda] communique avec les ingénieurs dans leur langue, mais c’est très difficile, je trouve ça très dur. Mais je peux dire quelques mots en japonais et je suis certain que je vais un peu progresser à l’avenir.
Il y a deux ans, quand on a appris que tu étais en négociations avec Honda, tu as probablement eu des attentes ou des rêves en tête. Les as-tu atteints ?
Oui, absolument. Nous sommes arrivés très rapidement où nous en sommes aujourd’hui, je ne m’attendais pas à ce que ce soit si rapide. Je suis très heureux. Cela veut dire que nous avons très bien travaillé et qu’en suivant mes informations, la moto a progressé constamment.
Luca Marini
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Lors de ta dernière saison avec VR46, tu es monté deux fois sur le podium, tu as signé deux poles et pris la huitième place du championnat… Comprends-tu que certains se disent que tu n’as peut-être pas pris la bonne décision ?
Oui, il peut y avoir des personnes qui ne comprennent pas ce changement, surtout au début de la saison dernière. Maintenant, les résultats disent l’inverse. Il me reste une année [de contrat] et l’opportunité de continuer à progresser avec Honda, pour essayer de gagner des courses la saison prochaine, en 2026. Je pense que c’est la meilleure opportunité de ma vie.
Est-ce ton principal objectif, gagner des courses la saison prochaine ?
Évidemment, absolument.
Au début de l’année dernière, on te voyait beaucoup avec les membres de VR46, mais c’est de moins en moins le cas. Prends-tu ton indépendance, en traçant ta voie ?
Ce n’est pas tout à fait ça. Dès que je le peux, je passe du temps avec eux, je ne cherche pas à prendre mon indépendance. J’essaie juste de tout donner à chaque week-end. Dans une équipe d’usine, nous avons plus d’événements et de réunions que dans une équipe satellite, donc c’est plus dur de trouver le temps d’être avec les gars de l’Academy. Maintenant, Bezz [Marco Bezzecchi] est dans une équipe d’usine, tout comme Pecco [Bagnaia]. Ce n’est pas très simple d’être ensemble, mais les choses restent identiques entre nous.
La VR46 Riders Academy a produit une génération de pilotes italiens exceptionnelle, dont Franco Morbidelli, Pecco Bagnaia, Marco Bezzecchi et toi, mais il n’y a pas de signes d’une nouvelle génération. La méthode VR46 est-elle moins tournée vers la formation et plus sur l’équipe en MotoGP ?
Je ne suis pas la bonne personne pour répondre à cette question.
Luca Marini
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Mais tu es membre de l’Academy presque depuis ses débuts…
C’est exact. Dans ma génération, il y a beaucoup de pilotes venus de la minimoto, nés en 1996, 97, 98, 99. En Italie, il y avait beaucoup de pilotes de minimoto, mini GP, pré GP, Moto3. Il y en a moins maintenant. C’est très difficile, cela demande beaucoup d’argent, et c’est compliqué. Je pense que l’Academy nous a aidés à aller de l’avant. Maintenant, nous cherchons de nouveaux pilotes de ce niveau. Quelques jeunes sont arrivés et nous allons essayer de les mener au championnat du monde. Mais il vaut mieux leur poser la question, ils y travaillent au quotidien. En tant que pilotes, on pense juste à rouler.
En tant qu’individu, tu parais toujours très calme, jamais en colère. Tu fais du yoga, de la méditation et tu travailles sur l’aspect mental. Est-ce une part importante du travail des pilotes MotoGP ?
Clairement. Mais chaque pilote est différent. J’ai appris à mieux me connaître, mais en me connaissant mieux, j’ai appris que chaque personne très différente. On pense différemment, on a des sensations différentes, on parle différemment… Chaque personne, chaque pilote, doit découvrir sa propre vie et comment exploiter son talent pour le montrer en piste.
Contrairement à la plupart des pilotes, tu n’as pas d’assistant personnel. Tu prépares toi-même ton casque et ta combinaison, ce qui surprend puisqu’en un sens, tu fais partie de la “famille royale” du paddock – ton demi-frère Valentino Rossi était le roi du MotoGP. Pourquoi as-tu cette approche ?
Je prépare mon casque et ma combinaison moi-même mais naturellement, les gens d’AGV et Dainese m’aident, et les gens de l’équipe aussi. L’équipe est ma famille. Si j’ai besoin de quoi que ce soit, ils le font immédiatement, ils sont fantastiques. Pour moi, c’est très facile de gérer les choses moi-même.
Luca Marini
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Tu voyages également seul, sans manager ou assistant, contrairement aux autres…
Oui, j’aime voyager seul. Mais au final, nous partons toujours de Bologne et nous rencontrons beaucoup de personnes qui se rendent sur les courses.
Comment te vois-tu dans dix ans ? Penses-tu que tu seras encore dans le monde de la moto, ou dans un autre domaine ?
Dix ans, c’est trop loin pour moi. Je ne peux penser qu’aux deux ou trois prochaines années, et j’aimerais rester chez Honda, ce serait parfait. J’aime vraiment le travail, l’équipe, tout. J’aimerais être ici pour gagner des courses.
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